Entretien de Didier Le Reste dans l’Humanité
Didier Le Reste : « Arrêtons de subventionner la route, investissons dans le rail »
Entretien réalisé par Kareen Janselme
Lundi, 8 Janvier, 2018
L'Humanité
Didier Le Reste Président de la Convergence Nationale Rail
La ministre des Transports convoque les patrons de la SNCF aujourd’hui pour réorienter leur politique. Une opération com, dénonce Didier Le Reste.
Q : La convocation de la direction de la SNCF par la ministre des Transports, Élisabeth Borne, annonce-t-elle une réorientation de la stratégie de la SNCF par l’État ?
Didier Le reste : La forme prend le pas sur le fond. Convoquer de façon théâtralisée les dirigeants de la SNCF, pour qu’ils expliquent les raisons des dysfonctionnements, relève pour moi de la communication. La ministre des Transports, Élisabeth Borne, est bien placée pour savoir les maux dont souffre le service public ferroviaire, après avoir été directrice de la stratégie de la SNCF avec Guillaume Pepy. Aujourd’hui, l’ensemble de ces dysfonctionnements, qui affectent la qualité du service et irritent de plus en plus les usagers, sont la résultante du désengagement financier de l’État.
La France ne finance qu’à hauteur de 32 % les infrastructures ferroviaires, pour 50 % en Allemagne et 90 % en Suède. Il s’agit de choix politiques qui portent un choix de société. C’est l’État qui a décidé la LGV (ligne à grande vitesse), lancé le TGV et n’a rien financé.
Le système ferroviaire français détient au global une dette de 53 milliards d’euros. La SNCF n’a qu’une dette d’exploitation de 8 milliards. La responsabilité incombe à l’État. Il n’est pas normal que Macron dise qu’il veut bien réduire la dette si on touche au statut des cheminots. Ce ne sont pas eux les responsables.
Q : Élisabeth Borne affirme aujourd’hui « ma priorité, c’est le ferroviaire » et en même temps considère la route « indispensable » dans « certaines zones en France ». N’est-ce pas contradictoire ?
Didier Le reste : La SNCF est composée de près de 1 200 filiales et sous-filiales. Élisabeth Borne ne peut méconnaître que la SNCF est le premier transporteur routier privé de France. Avec l’argent public, on développe la route ! Le routier, c’est 14 à 15 milliards d’euros par an. C’est le mode de transport le plus subventionné. La concurrence déloyale s’est accélérée, avec l’augmentation des péages pour le train, l’autorisation de circulation des 44 tonnes, puis la suppression de l’écotaxe, les cars Macron… Aujourd’hui, trois opérateurs se partagent le gâteau, dont la filiale SNCF Ouibus, qui vit sous perfusion. La finalité de ces politiques-là est de construire un mastodonte des transports et de la logistique privée dont la part congrue sera le train. Dans la COP21, le plan Hulot, les assises de la mobilité, les transports ont été peu traités et surtout pas le rail public.
Quand on évoque la mobilité, on parle covoiturage, applications numériques, vélo… mais pas de transport de masse. Il faut arrêter l’enfumage et réorienter l’utilisation de fonds publics pour réinvestir des réseaux ferrés nationaux.
Q : Une loi d’orientation de la mobilité intérieure est prévue pour 2018. Comment pensez-vous peser sur son contenu ?
Didier Le reste : La Convergence nationale rail (CNR) a été reçue par Jean-Cyril Spinetta, qui doit rendre un rapport sur le service public ferroviaire fin janvier, dans le cadre de l’ouverture du marché à la concurrence. Depuis 2006, la concurrence est ouverte sur le transport des marchandises par le rail : c’est une catastrophe.
Nous transportons moins de marchandises qu’en 2000. Nous avons fermé plus de 400 gares de fret. Depuis 2009, les cheminots dédiés au transport de marchandises sont passés de 15 000 à 7 000. La CNR a écrit un manifeste très consistant, très politique, pour un rail au service du développement durable, de l’intérêt général. Nous demandons aussi une enquête parlementaire pour que l’entreprise publique puisse rendre des comptes.