Article du quotidien L’Humanité sur la sécurité ferroviaire
Transport ferroviaire. À la SNCF, rentabilité vaut mieux que sécurité
Lundi, 28 Octobre, 2019
Marion d'Allard
La direction de l’entreprise publique a balayé l’option du retour des contrôleurs à bord de tous les trains et confirme la disparition des agents d’escale, pourtant décisifs pour la sécurité.
La direction de la SNCF a une nouvelle fois manqué l’occasion d’apprendre de ses erreurs. Alors qu’un rapport interne – suite à la collision, le 16 octobre dernier, entre un TER et un convoi routier à hauteur d’un passage à niveau dans les Ardennes – a été présenté ce vendredi, Guillaume Pepy a clôturé le débat. « Il n’y a tout simplement pas de différence de niveau de sécurité, que ce soit pour les clients ou pour les agents, entre configuration sans contrôleur et configuration avec contrôleur », a asséné le président sortant du groupe public. Pourtant, le droit de retrait massivement utilisé par 17 000 cheminots – conducteurs et contrôleurs – dans la foulée de l’accident confirme non seulement le malaise profond de toute une profession, mais fait émerger avec force dans le débat public la question centrale de la sécurité ferroviaire. Un sondage, publié en fin de semaine dernière, révélait d’ailleurs que plus des trois quarts des Français revendiquent la présence de contrôleurs dans tous les TER.
Les conducteurs devront donner eux-mêmes le signal de départ
Qu’importe, pour la direction de la SNCF, relayée à longueur d’ondes par le gouvernement, l’optimisation de la sécurité se résumerait donc à la mise en place d’outils de communication radio plus performants dans les cabines de conduite. Ainsi, le rapport interne, réalisé par la direction des audits de la SNCF, préconise-t-il tout juste l’installation d’une « protection supplémentaire des circuits électriques des fonctions de signal d’alerte des AGC (Autorail grande capacité, le type de train impliqué dans la collision des Ardennes – NDLR) ». Par ailleurs, le rapport liste une série de « premières actions » à mettre en œuvre, parmi lesquelles l’édition d’une « fiche réflexe » à destination des conducteurs. En somme, déplore la CGT cheminots, la direction de la SNCF entend « faire porter une charge supplémentaire aux conducteurs en ignorant les besoins exprimés par les usagers ». Le syndicat, qui dénonce la course folle à la réduction d’effectifs, soulève en outre que pas une ligne du rapport interne ne fait référence à la « prise en charge des voyageurs en cas d’accident ou d’incident ». « Croire que la modernité du matériel suffirait à compenser l’absence de contrôleur est un leurre », estime Sud rail, le troisième syndicat de la SNCF, qui juge « irresponsables » et « très loin d’être à la hauteur des demandes des usagers et des revendications des cheminots » les annonces de la direction.
Et il n’y a pas qu’en matière d’effectif de cheminots à bord des trains que la sécurité ferroviaire est mise au second plan. Sous couvert de la traduction dans la réglementation française d’une directive européenne, la SNCF s’apprête en effet à supprimer les agents d’escale, pourtant fondamentaux dans l’organisation des circulations ferroviaires. Dans le jargon, on les appelle les « flingueurs », ceux qui, sur les voies, face au nez du train, signalent au conducteur qu’il peut prendre le départ. « En gare, les différentes voies de garage se transforment en une, équipée d’un seul signal de départ. Si tout le monde part en même temps, c’est la catastrophe », explique Matthieu Bolle-Reddat, conducteur de train. « C’est pour cela que l’agent d’escale vient avec sa palette, au pied du train, pour organiser les départs après avoir vérifié que la voie était libre, qu’elle resterait libre, que les croisements sont dégagés et que les appareils de voie sont correctement positionnés », poursuit le cheminot, secrétaire du syndicat CGT des cheminots de Versailles. Prévue initialement au 15 décembre, la disparition des agents d’escale s’étalera jusqu’en juin prochain. Le temps, promet la direction de la SNCF, de mettre en place la « transition » et la « formation complémentaire » des conducteurs qui devront donner eux-mêmes, à terme, le signal de départ de leur train. Une aberration pour la CGT qui précise que, derrière le motif officiel, se cache une explication officieuse : dans un contexte de libéralisation du marché, les opérateurs privés concurrents n’ont ni les moyens ni les personnels qualifiés pour fournir des agents d’escale. Alors, résume le syndicaliste scandalisé, « on abaisse les exigences de sécurité du service public pour les mettre au niveau des opérateurs privés ».
Marion d’Allard